Aujourd’hui, le rôle de la CFTC dans la résistance est mésestimé, car méconnu. Pourtant, les acteurs de la CFTC ont joué un rôle particulièrement important. Ils furent parmi les premiers à comprendre que la collaboration mènerait à l’infamie, car elle était contraire à leurs valeurs. Très tôt, ils eurent le courage de résister, fût-ce au péril de leurs vies.
Contexte et clandestinité
Avant la guerre, il existait seulement deux grands syndicats : la CGT et la CFTC. Le premier représentait la courant « révolutionnaire », sur une base idéologique anarcho-marxiste. Le second était le « réformiste », sur la base historique de la doctrine sociale de l’église et ancrée dans la culture républicaine.
Indéniablement, la Résistance syndicale fut réelle et importante. Elle connaît cependant quelques freins au début. Les velléités de certains militants communistes sont troublées par le pacte germano-soviétique (signé en août 1939 entre Molotov et Ribbentrop). De plus, la branche pacifiste n’est alors guère encline à la Résistance, dans sa recherche illusoire de paix. Il va même se dessiner un paysage syndical collaborationniste. Le cas du militant René Belin reste symptomatique. En juillet 1940, il accepte sa nomination de secrétaire d’État au travail dans le gouvernement de Pétain. Il est aussi chargé de la production industrielle, jusqu’en février 1941. Là, il œuvrera notamment aux prémices du Service du Travail Obligatoire (STO) et à sa propagande.
Côté CFTC, dès le 25 juin 1940, Gaston Tessier et Marcel Poimboeuf, en zone occupée, ainsi qu’Antoine Choulet, pour l’Afrique du Nord, refusent de participer à une réunion à Vichy, où ils ont pourtant été convoqués. Dans la foulée, ils publient une déclaration stipulant : un « syndicat unique […est] contraire à la dignité ouvrière ». Puis, dans le cadre de la dissolution des syndicats, par René Belin, en août 1940, Gaston Tessier envoie une lettre de protestation à Pétain et la diffuse à une centaine de syndicats. Cette action placera la CFTC en dissidence dès la capitulation de la France.
Cette dissolution signe aussi le ralliement de cégétistes ; tout comme l’opération « Barbarossa » (attaque de l’URSS par les nazis) un peu plus tard, en juin 1941.
Création des premiers mouvements de Résistance
À l’automne 1940, en zone nord: des dirigeants de la CFTC et de la CGT fondent le « Comité d'études économiques et syndicales » qui deviendra le mouvement de résistance « Libération Nord ». Il sera dirigé par Paul Verneyras, bras droit de Gaston Tessier. Cette activité l’obligera rapidement à la clandestinité. À noter également, « l'union Ouest SNCF », autre organisation de résistance, dirigée par deux autres CFTC: André Paillieux (alias « Granville » dans la résistance) et Maurice Garnier.
L’Histoire retient surtout le « Manifeste des 12 » signé le 27 novembre 1940 entre la CFTC : Gaston Tessier, Jules Zirnheld (autre fondateur historique de la CFTC, disparu en décembre 1940) et Maurice Bouladoux, ainsi que la CGT. Ce texte possède certaines inspirations CFTC : il condamne l'antisémitisme, milite pour la liberté syndicale, exige un État souverain et démocratique, une coopération de classes sous l’arbitrage de l’État, le respect de la personne humaine, la liberté de culte, contre les délits d’opinion... Dans ses « Principes du syndicalisme français », il énonce aussi quelques éléments marxistes, comme l’anticapitalisme. Le texte dénote ainsi des intentions du PCF et des luttes entre CFTC et CGT, avant et après la guerre. Mais il insuffle un bien commun : il contribue à forger la résistance sur une base la plus large possible. Il marque aussi le début d’une prise de conscience collective en invectivant à la fin : « Nous ne reprendrons notre place dans le monde [que] dans la mesure où nous aurons conscience de la place que nous pouvons prendre ».
Presse clandestine et résistance administrative
Dans la foulée, à partir de 1941, la CFTC lance de multiples actions de propagande de la résistance. Notamment, par la création du journal « Cahiers du témoignage chrétien » à Lyon, le journal « L’arc » de Jules Corréard (alias « Probus »), la « Circulaire de liaison des syndiqués chrétiens » (où Gaston Tessier rédigera de nombreux éditoriaux). Ainsi que les tracts « La liberté », de Maurice Guérin, qui soutenaient la résistance du mouvement « Combat », avant que ce dernier ne préside l’association de résistance : « Comité de coordination et d’action chrétienne ».
À Vichy, la « charte du travail » est présentée le 4 octobre 1941. Jacques Tessier (Fils de Gaston, président de la CFTC de 1970 à 1981) relate que les freins organisés par la Résistance dans l’administration feront que les décrets d'application ne seront publiés qu’en septembre 1942.
La CFTC à Lyon, Marseille, Alger, Londres…
Après avoir été blessé et capturé lors de la bataille des Flandres, Joseph Botton (secrétaire général adjoint de la CFTC) s’évada à l’été 1940. Il organise alors les premiers réseaux de résistance avec, Alexis Delorme (secrétaire général de l’UD-CFTC du Rhône), Jean Brodier, André Etcheverlepo (dit « Rollin », président de la CFTC Métallurgie à Toulouse), Eloi Chacornac, Edouard Morin (président de l’UD-CFTC de Saône-et-Loire), Maurice Guérin, Jean Naillot, Stanislas Fumet, André Plaisantin… De ces groupes « Temps Nouveau » résulteront les mouvements de résistance Combat et Libération. Dans ce contexte est rédigé « Le Manifeste lyonnais » (actuellement introuvable sur internet), par Joseph Hours et publié dans « Le Jour » à Montréal.
Il gagne Marseille, puis Alger, d’où il repart pour Londres, dans un « canot à voile », le 16 juin 1941. Arrivé en juillet 1941, il présente son rapport au 2e bureau, puis fait transmettre le message « le frère vaisselier est bien arrivé » pour informer la résistance française de sa présence à Londres. Il y travaille alors avec des personnalités comme Maurice Schumann ou Raymon Aron et est régulièrement reçu par le général de Gaulle.
… et aux États-Unis
Puis Joseph Botton rejoint Paul Vignaux (fondateur du SGEN-CFTC) en Amérique pour impliquer les États-Unis afin de permettre la victoire sur le nazisme. D’abord dans l’Indiana, où Paul Vignaux enseigne un temps à l’université Notre-Dame. Puis, les deux multiplieront les rencontres et conférences dans tout le pays (notamment à Washington, lors de la conférence internationale du travail). Joseph Botton devient alors consultant sur les questions syndicales françaises auprès de l’Office of Strategic Services (OSS) et l’Office of War Information (OWI). Il a entretenu des liens étroits avec les syndicats américains : Jewish Labor Committee (qui allouera des fonds à la résistance française), Catholic trade union (dans la métallurgie notamment), etc.
Joseph Botton et Paul Vignaux interviendront aussi de nombreuses fois à la radio NBC, retransmise par la BBC. Botton restera aux États-Unis où il participera à l’aide américaine à la reconstruction à travers le « Committee of Catholics for Post-War Cooperation with French Labor » (comité catholique d’après-guerre pour la coopération avec le syndicalisme français).
Yvon Morandat, de Gaulle et Jean Moulin…
À Londres, "Yvon" Léon Morandat (il gardera Yvon, son nom de résistant, comme prénom), succède à Joseph Botton. Secrétaire général de la CFTC de la Savoie et chasseur alpin, il intègre la France libre dès son arrivée en Angleterre en juin 1940. Il est nommé à la « coordination des actions de résistance entre organisations politiques et syndicales », par le Général de Gaulle.
Il sera parachuté près de Toulouse et pris en charge par la CFTC locale. Puis, acheminé à Lyon, où il rencontrera Jean Moulin, avec l’aide de la CFTC de Villeurbanne. Il rejoint aussi le Mouvement « Libération ».
Avec Jean Moulin et trois autres CFTC (Poimbeouf, Rose, Jean Brodier) ainsi que deux CGT (Lacoste et Merle), ils fondent le « Mouvement ouvrier français » (MOF). Ce mouvement a pour mission de : 1/ développer "l’esprit de résistance" ; 2/ s'opposer à l'application de la charte du travail ; 3/ combattre le STO.
À la libération de Paris, le 21 août 1944, Yvon et son épouse Claire (grande résistante également) prendront possession de l'Hôtel Matignon, à bicyclette, dans le but d’y installer le gouvernement provisoire. Le personnage de Yvon Morandat est joué par Jean-Paul Belmondo dans le film de René Clément : « Paris brûle-t-il ?» (voir extraits <ici).
1er mai 1942
Lors d’une réunion du MOF à Clermont-Ferrand, une manifestation nationale est lancée le 1er mai 1942, via la BBC le 25 avril, et relayé par tracts et par journaux clandestins : Résistance, Franc-Tireur, Combat, L’Humanité, l’Avant-Garde, La Vie Ouvrière…. Le mot d’ordre est de passer « silencieusement et individuellement à partir de 6 heures et demie devant les statues de la République, images de la France, pays de liberté, et devant les mairies, centres et symboles de la communauté française, libre, égale et fraternelle ». Le même jour, des sabotages de voies ferrées et de sites industriels sont organisés.
Actions et sacrifices sur tout le territoire
En 1942, la CFTC existe clandestinement dans toutes les régions. Comme à Caen avec Armand Huet où, grâce à ses réseaux, il transmet à Londres des renseignements sur les positions et les mouvements de l’occupant. Ces informations furent cruciales dans la préparation du débarquement (et saluées par Eisenhower, selon Jacques Tessier).
À côté des actions les plus héroïques (parmi les maquisards notamment), les syndicalistes œuvraient aussi à des actions plus anodines, mais non moins dangereuses. Comme le recueil d’information sur la production industrielle à destination de l’occupant. Ou, comme à la Sagem de Montluçon : le ravitaillement nocturne des maquis alentour avec les camions de l’usine. Véhicules qui reprenaient leur place avant l’aube, dans une usine pourtant gardée par la Wehrmacht.
Et beaucoup y perdent la vie. Dans un discours d’après-guerre, Gaston Tessier mentionne quelques noms parmi les dirigeants de la CFTC : Georges Bernard, Jean Labouisse (dit « Tarzan »), Henri Clément, Yves Bodiguel, Chevallier, ou André Etcheverlepo (alias « Rollin »), dont les salariés de Latécoère défendaient encore la mémoire en 2017 dans La Dépêche)… Cette liste reste terriblement incomplète.
La clandestinité organisée
À ce moment, la CFTC est dans la plupart des comités départementaux et locaux de Libérations. On retrouve André Paillieux au comité parisien de Libération, Joseph Dumas en Commission des voies de communication du Conseil National de la Résistance (CNR), Jean Brodier siège en Commission du travail du CNR... Gaston Tessier est également président de la commission de ravitaillement du CNR. Il doit cette délicate charge (pénuries, pillages...) à son aura dans la résistance.
À partir d’avril 1943, à Londres, Marcel Poimboeuf succède à Yvon Morandat. Il est en liaison permanente avec les organisations syndicales en coordination avec le cégétiste George Buisson.
Le 27 mai 1943, Gaston Tessier assiste à Paris à une réunion du CNR présidée par Jean Moulin ; soit moins d’un mois avant l’arrestation de ce dernier par la Gestapo, lors d’une autre réunion du CNR.
En juin 1943, après la fusion des mouvements Libération Sud et Nord (suite à l’envahissement de la zone libre le 11 novembre 1942), la CFTC crée le « Comité national de liaison des organisations syndicales chrétiennes ». Le président en est Gaston Tessier, sous l’autorité du « Bureau central » et « commission administrative » (du mouvement Libération, a priori).
En septembre 1943, Georges Bidault (du SGEN CFTC et éditorialiste à l'Aube, où il a remplacé Gaston Tessier) succède à Jean Moulin comme Président du CNR.
La Libération !
Le 19 août 1944: le « Comité interconfédéral » d'entente CGT-CFTC, créée un mois auparavant, lance l’ordre de « grève générale insurrectionnelle ». L’objectif est de hâter la progression de la 2e DB du General Leclerc vers Paris, comme le relate Jacques Tessier. D’autres y voient le « grand soir »...
Naissance des Comités d’Entreprise…
Avant même la fin de la guerre, à l’automne 44, une « Assemblée consultative provisoire » est créée à Paris. Ses membres CFTC sont : Paul Verneyras, Jules Catoire (alias « Dartois »), Maurice Guérin, André Paillieux, Marcel Poimboeuf. Cette assemblée créa les Comités d'Entreprises (CE), posa les bases d’un « salaire minimal légal », proposera un « statut de la fonction publique »…
Dans cette période, Robert Prigent, de la CFTC Dunkerque, devient « Ministre de la population » dans le gouvernement provisoire du Général de Gaulle. Et d’autres CFTC, comme Jules Catoire, feront de brillantes carrières politiques après la guerre.
Denis JEAMBRUN, Secrétaire fédéral
Cet article est issu de recherches menées le cadre d’une conférence, organisée par Ali Jiar, à l’Assemblée nationale, le 8 novembre 2023, sur « L’audace de Servir la France »
Bibliographie : voir hyperliens dans le texte en version web ainsi que :
Jacques Tessier, La CFTC, éd. Fayard, 1987
Philipe Portier, Un siècle de construction sociale – Une histoire de la Confédération française des travailleurs chrétiens, éd. Flammarion, 2019
PORTRAITS ci-dessous : Yvon Morandat, Gaston Tessier, Georges Bernard, Marcel Poimboeuf, André Etcheverlepo.